Innovation : hybridation du public et du privé

Contenu : Le système juridique français est bâti sur une opposition entre ces deux
dispositifs, ces deux visions : la libre concurrence et la recherche du profit individuel d'une part opposé à l'intérêt général et à la solidarité d'autre part.
• Initiatives publiques d'une part (appel d'offre, marché public, DSP) ou initiative privée d'autre part (subvention, prestation marchande..),
• mise en œuvre publique d'une part (régie, établissement public, entreprise publique) relevant du droit public, ou mise en œuvre privée relevant du droit privé commercial,
• financement par l'impôt d'une part et financement par le marché d'autre part.

Ces oppositions politiques légitimes sont de fait depuis longtemps contredites par la réalité :
• La plupart des nouveaux services ont toujours été produits par le secteur privé, essentiellement par l'économie sociale.
• La mise en œuvre des services a de tout temps été partagée entre le secteur public et des entreprises privées à but lucratif ou non.
• Le financement des services est la plupart du temps mixte, en partie pris en charge par la redistribution nationale et en partie par le marché.

Sous la pression des réalités de terrain, les pratiques ont évolué plus vite que les représentations et que l'encadrement juridique. L'opposition public-privé ne permet pas de prendre en compte la complémentarité entre ces deux sphères.
L'analyse des innovations permet de repérer quelques pistes qui donnent un cadre à cette hybridation entre le public et le privé.

L’initiative partenariale de la création d'un service
La prise d'initiative de la création d'un service peut être conjointe entre une association une collectivité, par exemple grâce à l'utilisation de la convention pluriannuelle d'objectif (CPO), reconnue par le droit européen et compatible avec les principes de libre concurrence et d'intérêt général. Le service est défini conjointement par les pouvoirs publics garant de l'intérêt général et le partenaire privé à l'initiative : il s'agit d'un contrat ou chacune des deux parties peut faire valoir ses objectifs et ses contraintes. Ce n'est pas un marché public dont la seule initiative dépend des pouvoirs publics ni une subvention dont la seule finalité dépend de l'association.

Des outils plus innovants, comme les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC), permettent d'associer des bénévoles, des usagers, des professionnels et des pouvoirs publics dans une structure qui rend des services d'intérêt collectif la population. Ce dispositif veut limiter le recours à des associations transparentes ou parapubliques. Les règles de majorité relative entre les trois collèges obligatoires permettent de limiter les risques d'instrumentalisation des initiatives bénévoles et professionnelles.

Les sociétés d'économie mixte (SEM) permettent aujourd'hui une forme juridique de société privée avec un capital majoritairement public, notamment pour faire face à des besoins d'investissement importants.

La gestion mixte d'un service
Le mixage du public et du privé passe également par le recours aux partenariats public-privé pour réaliser des investissements lourds en mobilisant des capitaux privés pour le compte de la collectivité publique. Cette forme de partenariat, qui associe des capitaux répondant à une logique de rentabilité, pose la question concernant la défense de l'intérêt général.
L'hybridation public-privé nécessite d'être spécifiée pour ne pas confondre les projets d'investissement uniquement lucratifs avec les projets au service de l'intérêt général. L'encadrement juridique et le suivi des expérimentations doit permettre de garantir que les crédits publics n'alimentent pas les profits privés des investisseurs.
La mise en œuvre des services a depuis longtemps fait l'objet d'hybridation entre le public et privé : de nombreux services sont mis en œuvre en régie, d'autres sont confiés à des associations, et d'autres enfin à des entreprises privées lucratives. La coexistence de ces différents modes de mise en œuvre présente l'intérêt de la diversité, et permet de s'adapter à chaque situation. Mais elle présente aussi l'inconvénient de l'opposition des
modèles et des contraintes juridiques propres à chacun :
• la délégation de service public s'applique à des services essentiellement marchands où le prestataire doit prendre le risque financier de l'exploitation du service. Le maître d'ouvrage a de ce fait peu de prise sur l'adaptation des services une fois le marché passé.
• Le marché public permet au maître d'ouvrage de maîtriser les prix et la qualité du service mais ne laisse aucune initiative au maître d'œuvre quant à l'adaptation du service dans la durée.
• La subvention laisse l'initiative du projet à la structure bénéficiaire. La structure publique n'a
théoriquement qu'un pouvoir de contrôle a posteriori sur l'utilisation effective des deniers publics, et ne peut intervenir sur le contenu du service sous peine de requalifier celui-ci en prestations de services.

Même si dans la pratique des spécialistes juridiques et le bon sens des responsables locaux permettent d'éviter certaines rigidités, la tendance principale consiste à « ouvrir le parapluie », à rigidifier les procédures, à judiciariser les conflits, le plus souvent au détriment de la qualité de service et de son adaptation aux besoins du terrain.
Dans ce contexte, la CPO et la SCIC offrent de nouveaux cadres à l'hybridation des services tant dans leur initiative que dans leur mise en œuvre.

Le financement des services innovants se fait de plus en plus par une hybridation de l'apport du public et du privé, en nature ou en financements directs ou indirects :
• en nature : mise à disposition de bâtiment, de matériel, de terrain, de personnel
• financements directs du fonctionnement sur crédits publics
• financements indirects par crédit d'impôt ou allocation aux usagers
• financement par les utilisateurs
• financement par des capitaux privés
• financement par des fondations privées ou de l'épargne solidaire

De nombreux dispositifs de financement solidaire s'expérimentent dans divers domaines sur le terrain pour faire face à l'insuffisance de capitaux privés et de crédits publics : création d'activité avec le micro crédit et les cigales, coopérative d'habitat, coopérative de partage automobile, Terre de liens pour l'acquisition collective du foncier agricole, site Web spécialisé dans la collecte de fonds (crowdfounding).

L'intérêt de ces nouveaux dispositifs d'épargne solidaire, outre l'apport financier qu'ils autorisent, est qu'ils mobilisent des citoyens utilisateurs qui s'impliquent ainsi dans la mise en œuvre des projets, leur garantissant une certaine qualité et durabilité.

Nous avons vu que l'hybridation du public et du privé présente de nombreux intérêts mais également quelques dangers tels que l'instrumentalisation politique des initiatives citoyennes, ou l'appropriation des biens publics par des intérêts privés.
La reconnaissance de cette hybridation doit permettre d'ajuster des outils juridiques et conventionnels pour encadrer ces collaborations. Cela passe aussi par un effort d'information et de formation des responsables publics et privés pour faire face à la complexité des dispositifs. Le petit nombre de SCIC créées vient en particulier de cette complexité de gouvernance et de gestion. La lenteur de la généralisation de la CPO tient aussi
par le manque de formation des responsables de l'économie sociale et du monde politique en la matière.

Source : "Quel avenir des services en milieu rural ? Cahier des innovations", ADRETS, 2013